Holacracy : une nouvelle méthode de gouvernance tournée vers l’humain ?
Introduction
Quel est votre poste au sein de talkSpirit ?
Bonne question, il y a toujours ce que l’on est au sens de sa fiche de poste et ce que nous sommes en Holacracy. Vu de l’extérieur je suis Account Manager, ma mission principale chez talkSpirit est d’accompagner un portefeuille de clients notamment grands comptes et de m’assurer de leur satisfaction. Ce poste me permet de travailler en étroite collaboration avec les clients et l’équipe en charge du développement de notre produit. Nous proposons une solution de réseau social d’entreprise faisant partie des leaders sur le marché français.
Comment avez-vous découvert Holacracy ?
Par le biais de Philippe Pinault dirigeant et cofondateur de talkSpirit. C’est un “vrai” entrepreneur qui par ses expériences et les sociétés qu’il a fondées, réfléchit beaucoup à la façon dont évolue notre environnement de travail et à l’avenir de nos métiers dans les organisations. On pourrait croire que c’est seulement sa décision qui nous amène à Holacracy, mais en réalité nous étions en quête d’une autre façon de travailler qui permette aux collaborateurs de se libérer, d’exploiter leur potentiel et de se sentir bien pour permettre à l’organisation d’avancer dans les meilleures conditions. C’est un cheminement qui nous a amené à ça, car auparavant nous avions déjà essayé de mettre en place une structure d’organisation qui ressemblait à Holacracy (plus horizontal, avec des cercles, plus de liberté des collaborateurs, des réunions plus performantes) mais sans cadre et donc sans succès. Dessiner des ronds sur un tableau au lieu d’une pyramide pour représenter le système managérial de l’entreprise ne permet pas de changer les habitudes de travail du jour au lendemain, c’était une bonne approche mais trop théorique. Lorsque notre dirigeant a découvert Holacracy par le biais d’iGi Partners et de Bernard Marie Chiquet, initiateur de Holacracy en France, il a découvert un outil sur lequel nous pouvions tous nous appuyer et cette technologie a été présentée à tous les collaborateurs pour lancer l’expérimentation.
Depuis combien de temps pratiquez-vous Holacracy ?
J’ai passé 5 ans chez talkSpirit. Cela fait 3 ans que talkSpirit est en Holacracy.
Pourquoi avoir choisi une entreprise en Holacracy ?
Je ne l’ai pas choisi, j’ai été attiré par une entreprise innovante et libérée mais je ne savais pas que nous lancerions Holacracy après mon arrivée. J’ai eu la chance de connaître la société avant et la mise en place de ce mode de gouvernance et de voir par la suite ses effets. Fondamentalement, le fait de déployer Holacracy ne change rien à la façon de travailler au quotidien, c’est une technologie qui permet au collaborateur d’adopter des pratiques qui vont lui permettre d’être plus performant, mais la mise en place de Holacracy impacte davantage la forme que le fond.
Quelle est la raison d’être de votre entreprise ?
C’est de devenir le produit de référence en matière de collaboration et de communication au sein des organisations agiles, notamment en leur proposant une expérience utilisateur unique.
Avez-vous déjà travaillé au sein d’une entreprise dite traditionnelle ?
Chez talkSpirit (avant le déploiement de Holacracy), mais pas en dehors. D’ailleurs je ne me vois pas travailler dans de telles entreprises, j’ai besoin d’une certaine autonomie dans mon travail.
L’organisation en Holacracy
Faites-vous la distinction entre les rôles et les personnes ?
Tout à fait, il est important de faire la distinction entre la personne et les rôles qu’elle remplit. Cela relève du bon sens. Aussi quand je m’adresse à un collègue il est important de préciser dans lequel de ses rôles ou pour quel projet je m’adresse à lui, cela permet de structurer les échanges. Pour donner un exemple de la vie de tous les jours, c’est comme lorsqu’on s’adresse vivement à un officier de police qui nous met un PV de stationnement. Même en colère, on s’adresse à l’autorité policière et non pas à la personne, et il est important de lui faire comprendre la cause du désaccord pour régler le différend. Et bien au travail, c’est aussi le cas nous nous adressons au rôle et peu importe qui est sous la casquette, et ce pour tous les échanges sans exception. C’est une pratique respectée en Holacracy. La distinction entre la personne et ses rôles est super car elle permet de prendre du recul par rapport à ses actions et de ne pas se sentir attaqué, elle réduit l’affect. On comprend ainsi plus aisément que l’on s’adresse à nous uniquement dans le cadre des projets que l’on remplit pour l’organisation : ce n’est pas parce que l’on fait mal les choses que l’on est une mauvaise personne !
Quels sont les effets de la multiplicité des rôles sur le travail du salarié ?
Je remplis une multitude de rôles, environ une dizaine. Il n’y a pas d’effets particuliers. Cela apporte plus de clarté, plus de précision et de transparence. Peu importe le nombre de rôles, un collaborateur peut en avoir quelques uns comme quelques dizaines. L’important reste que le collaborateur ait assez de temps pour énergiser l’ensemble de ses rôles, et qu’il gère bien ses priorités. Grâce à ces rôles, les missions que l’on décrit du salarié sont en adéquation avec le travail qu’il effectue réellement, contrairement aux fiches qui évoluent peu dans les organisations traditionnelles.
Quelle est l’importance donnée aux processus organisationnels ?
Ils sont une nécessité pour que Holacracy fonctionne. Il faut des réunions, des décisions, des projets qui soient processés, structurés. Holacracy est un ensemble de règles, une technologie qui nécessite d’être appliquée à la lettre pour fonctionner. C’est pourquoi nous nous appuyons sur les règles du jeu décrites dans la Constitution et qui déterminent la façon dont les choses se passent : en Holacracy c’est la Constitution qui a le pouvoir. J’ajouterais que si on ne respecte pas cette constitution de façon stricte, on ne fait pas Holacracy, on fait autre chose.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de la mise en place de Holacracy ? (Réunion de triage, de stratégie, de gouvernance…)
Nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières. En effet, nous avons suivi au lancement un processus très rigide. Dans une réunion par exemple, il y a différents rôles remplis par les participants, ensuite il y a des étapes à suivre rigoureusement, dont celui avec les points à l’ordre du jour, et enfin le tour de clôture où chacun a son mot à dire pour clore la réunion. Donc non ça n’est pas délicat. Il faut juste l’apprivoiser au début mais ça n’est pas difficile, n’importe qui peut intégrer ces processus.
Est-ce que cela prend du temps d’intégrer ces mécanismes ?
C’est difficile au début mais c’est normal. Holacracy c’est comme un sport : il faut que le geste soit juste! Et pour que le geste le soit, il faut le répéter de nombreuses fois correctement pour corriger les fois où il a été mal fait. Tout est nouveau, on découvre un nouvel univers, il faut un peu de temps et d’accompagnement pour être à l’aise en Holacracy. Je ne pense pas que l’on puisse se lancer en Holacracy de façon autodidacte sans les conseils de personnes ayant l’expérience de cette technologie.
Que pensez-vous de l’efficacité de ces processus ?
Lorsque l’on est en Holacracy, tout est tourné vers la raison d’être de l’entreprise. Le cercle est un rôle en lui-même mais également un ensemble de rôles. Dans ce cercle, il y a une stratégie, et en son sein il y a une multitude de rôles. Ces rôles interagissent entre eux. Holacracy est un corps vivant. Tout cet organisme c’est ce qu’on appelle l’holarchie : l’impact des cellules les unes avec les autres mais avec un objectif commun : tout doit être tourné vers sa raison d’être. De même que lorsqu’on se coupe nous cicatrisons, en Holacracy lorsque des tensions remontent tout est fait pour les rétablir. Nous observons assez peu de freins et tout est tourné vers la réussite globale de l’organisation, les réunions sont très efficaces. Je dirais que les processus amènent de l’agilité et de la rigueur à l’organisation.
La position du salarié en Holacracy
Quel sens Holacracy donne à votre métier ?
Holacracy aide à donner du sens à l’organisation car cela pousse à définir la raison d’être des différents rôles et entités de l’organisation, la stratégie est également clarifiée. En Holacracy, un cercle est ensemble de rôles, la raison d’être étant définie pour chacun d’entre eux, Holacracy donne du sens à notre travail. Aussi les domaines d’autorité des rôles et leurs redevabilités sont clairement définies.
Est-ce un plus ou un moins de travailler en Holacracy ?
Travaillant avec Holacracy au quotidien depuis plusieurs années, je vous fais un bref retour d’expérience. Je sais quel levier adopter pour résoudre les difficultés que je rencontre. Je peux impacter la gouvernance de l’entreprise à tout moment, je peux créer des rôles ou les changer lorsque j’observe une carence. Je peux voir tous les projets en cours et l’autorité des autres rôles de façon transparente. Je sais aussi que s’il y a des problèmes concernant les ressources humaines j’ai des leviers car recruter une personne ou s’en séparer est dans le champ du possible. Tout cela alors que je ne suis ni actionnaire, ni fondateur de la société. Enfin dernier point capital, je ne suis pas obligé de faire tous les cas que je viens d’énumérer si je ne le veux pas. Holacracy ne m’y force pas mais me donne simplement la possibilité de m’investir à l’infini dans l’organisation si je le souhaite. Je dirais que c’est un plus de travailler en Holacracy notamment pour les personnes ayant un fort caractère d’entrepreneur et qui n’aiment pas qu’on leur impose de limites. D’autres seront peut être plus à l’aise dans des schémas plus classiques.
Comment Holacracy vous a permis de monter en responsabilité ?
En réalité, plus qu’une permission cela nous oblige à monter en responsabilité. Il n’y a plus de n+1 ou de n+2 pour valider le travail. C’est plus responsabilisant. Tout est transparent, on ne peut pas se planquer sans être rapidement démasqué, toute l’organisation a conscience de nos projets.
Travailler de la sorte n’est pas inné chez tout le monde. Il y a des personnes qui ressentent le besoin que l’on valide leur travail. En Holacracy il n’y a personne pour valider le travail d’autrui, et tout le monde dans le cercle peut avoir son mot à dire sur les projets qui le concernent. Le manager tel qu’on le connaît c’est celui qui prend la décision ou se fait garant pour le compte d’un autre, son absence de l’échiquier nous force à devenir plus responsable dans les actions entreprises et à avancer nous même nos pions.
Quel est l’impact de l’absence de manager au sein de l’organisation ?
On ne supprime pas les managers, on fait en sorte qu’ils remplissent un rôle plus opérationnel. Ainsi, on retrouve les “managers” sous d’autres formes en Holacracy. Ils peuvent avoir des rôles de coach dans différents domaines, être en charge des indicateurs de performance, de la définition des rôles, ou de la rédaction des processus. Par ce biais, ils demeurent garants de la bonne santé de l’entreprise et impactent la gouvernance de l’organisation. Mais cela au même titre que les autres employés. Holacracy c’est le retour au concret, et il est vrai que le manager doit aussi mettre la main à la pâte.
Quelle importance est donnée à l’évolution du salarié ?
Le salarié est davantage libre dans ses choix dans une société qui pratique Holacracy que dans une société traditionnelle où il est cantonné à des missions et à des supérieurs qui décident pour lui. Pour prendre un exemple, si sur mon lieu de travail je décide de consacrer plus de temps à l’arrosage des plantes je peux le faire, et au contraire si ce rôle ne me convient pas ou si je ne peux m’y consacrer assez alors je peux démissionner de ce rôle ou apporter une tension en réunion. C’est simplement une autre manière de travailler, pas forcément la bonne ou la mauvaise, c’est juste nouveau. Donc naturellement cela permet de découvrir d’autres horizons, d’être plus autonome et de s’enrichir au quotidien. On amène davantage les tensions que l’on rencontre, la parole est plus libre et respectée.
Que pensez-vous de la liberté conférée au salarié ?
Lorsque Holacracy est adopté, passée la barrière des nouveaux processus à intégrer le collaborateur se sent plus libre notamment parce que tout est transparent et il n’y a plus d’opacité ou de politique dans les prises de décision. Finalement, qu’est-ce que la liberté dans le domaine du travail ? Le lien liant les collaborateurs à leur employeur étant avant tout un lien de subordination. Si je devais la définir, je dirais que c’est le droit d’agir à l’infini à condition que ça ne dérange aucune des personnes avec lesquelles je travaille. C’est du bon sens et c’est comme ça que nous travaillons en Holacracy, nous sommes donc infiniment libres. C’est pour contrebalancer cette liberté que l’on se doit de respecter des règles, des domaines, des politiques et par dessus tout la Constitution. Donc oui le salarié est libre mais c’est une liberté maîtrisée.
La place de l’humain en Holacracy
Comment Holacracy associe performance et humain ?
C’est très lié. Il faut trouver les bonnes personnes, celles qui « fit » (sont en adéquation) avec l’organisation et les rôles à pourvoir. Si l’humain répond bien à ce qu’on attend de lui, l’organisation sera plus performante. De manière générale, Holacracy est un outil qui permet d’être performant.
En Holacracy on remplit des rôles, il n’y a pas de jeux politiques, de stratégies, ce n’est pas hypocrite. A mes yeux, la grosse différence entre une entreprise classique et Holacracy, c’est que chez nous vous ne rencontrerez pas cette personne qui sous prétexte qu’elle est au-dessus de vous dans la hiérarchie, pourra d’un claquement de doigt tout détruire ou tout changer. Nous sommes tous au service de l’organisation et pas de notre ambition personnelle. Ainsi lorsqu’un collaborateur est évalué par ses pairs, il l’est tant sur sa performance dans ses différents rôles que sur l’adéquation entre ses valeurs et celles requises “humainement” pour travailler au sein de l’organisation. Ce set de valeurs a été défini au préalable par tous les collaborateurs lors d’un séminaire.
Où se situe la raison d’être par rapport à l’humain ?
L’humain est le premier vecteur pour arriver à la raison d’être. La raison d’être, elle existe quoi qu’il arrive et pour y arriver il faut un être humain. Si les êtres humains se sentent bien c’est que ce sont les bonnes personnes au sein de la bonne organisation. Si les humains sont compatibles à l’organisation alors on arrivera plus rapidement à obtenir de bons résultats au sein de l’organisation.
Quelle est la place pour l’affect, les émotions ?
La colère, le stress, l’angoisse sont des émotions. Lorsqu’on en rencontre au travail, c’est que quelque chose ne va pas. Dans ce cas nous avons le devoir d’amener et traiter ces tensions en réunion. Toutes les émotions peuvent potentiellement être traitées en réunion et entendues par tous. De la même manière, en cas d’émotion positive, si j’ai envie de fêter un événement, je peux ouvrir une bouteille de champagne avec mes collègues. Enfin si je me sens mal dans l’organisation, je peux la quitter. En ce sens, l’humain et ses émotions ne sont pas laissés à l’abandon, bien au contraire.
Quels sont les systèmes mis en place par votre entreprise profitant aux relations humaines ?
Holacracy a resserré les liens à son lancement. Quand on a mis en place Holacracy nous nous sommes séparés des collaborateurs qui n’étaient pas en accord avec la raison d’être de l’organisation, c’est une étape essentielle. De fait cela a créé un noyau dur avec des employés en accord les uns avec les autres, et avec le projet d’entreprise. Après cette phase de transition qui me semble essentielle, on a créé un noyau dur sur lequel l’organisation s’appuie et on se sent bien aujourd’hui. Différents rôles ont été créés pour s’assurer du bien être des collaborateurs au quotidien, et du suivi de leurs activités sur le plan RH (entretiens, évaluations). Nous avons beaucoup travaillé sur les processus RH après avoir lancé Holacracy car nous nous sommes aperçus qu’il y avait des carences en la matière et que les décisions pouvaient désormais être prises en comité plutôt que par une seule personne. Aussi nous faisons régulièrement des activités d’after-work ou de team building, comme dans beaucoup d’entreprises la bière et le saucisson sont un très bon liant pour l’équipe.
Comment qualifiriez-vous le type de relations entretenues avec vos collègues ?
Elles sont très bonnes. Le temps passant, à force de traverser des épreuves ensemble, cela a créé du lien entre nous tous. On travaille en noyau resserré autour d’un but commun. Naturellement des relations amicales se sont créées. Je n’ai de problème avec aucun salarié de l’entreprise.
Quelle est la place du collectif ?
On ne joue que collectif. Nous sommes des personnes au service des processus et de l’organisation.
Holacracy dans le futur
Dans quel type d’organisation vous voyez-vous dans 5 ans ?
Dans aucune (rires). Je ne me projette pas dans un type organisation en particulier mais dans une façon de travailler qui me convienne et de projets qui me tiennent à cœur. Je pourrai tout à fait travailler pour un grand groupe tout comme une start-up, et pas nécessairement dans une entreprise libérée ou en Holacracy.
Selon vous quelles seront les organisations de « demain » ?
Les organisations agiles ne peuvent que continuer à se développer. Holacracy va se pérenniser car les entreprises se tourneront de plus en plus vers de nouveaux modes de collaboration. Nous vivons dans un monde du travail où beaucoup soulignent que le management à l’ancienne est voué à l’échec, or la grande majorité des organisations continue d’appliquer en 2017 les modèles du siècle dernier, et les changements tardent à se mettre en place. Les organisations de demain sont celles qui sauront s’organiser face aux changements que nous observons. Chaque organisation doit trouver son équilibre, sa façon de s’organiser et de travailler. Toutes les organisations ont besoin de nouvelles règles du jeu pour autant je ne pense pas que Holacracy soit la solution pour toutes.
Dans quel cas conseillerez-vous Holacracy ?
Ça dépend de l’organisation. Ça dépend du quotidien des personnes et de la façon dont elles travaillent, et d’autres critères encore. Je ne recommande pas Holacracy à mon entourage pas plus que je recommande mes opinions politiques ou ma foi. Je veux que les personnes s’y intéressent mais je ne veux pas être le prêcheur, le gourou d’un système sous prétexte qu’il marcherait mieux qu’un autre, c’est suspicieux. C’est un cheminement qui doit nous mener à des outils comme Holacracy. Je recommanderais simplement aux entrepreneurs qui y pensent de se lancer, car le changement de ses habitudes de travail est toujours une expérience unique à vivre.
Pouvez-vous me donner 5 mots pour qualifier Holacracy ?
Transparence, agilité, règles, innovation, structure.
Entretien réalisé par Marie CONDY, dans le cadre de son mémoire de recherche réalisé pour l’INSEEC Business School (année scolaire 2016/2017).
Pour aller plus loin, je vous invite à regarder cette courte vidéo de Philippe Pinault, co-fondateur de talkSpirit, qui nous donne ses retours d’expérience.