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18/05/2020

Dix ans d’holacratie : et après ?

L’holacratie est née de l’expérimentation et de l’observation ; des hommes, des entreprises et de leur organisation. Pas de cette observation dont naissent les grandes théories mais de celle dont les entreprises de demain sont faites, résultat d’une approche fondamentalement empirique et chevillée à la réalité.

Tout sauf une nouvelle théorie managériale, l’holacratie est une technologie, une « boîte à outils » disponible pour tous ceux qui souhaitent rompre avec le modèle hiérarchique et donner vie à une organisation humaine, efficiente, adaptée aux spécificités de chaque entreprise et centrée sur la raison d’être. Fondamentalement pragmatique et évolutive, l’holacratie a construit son succès sur l’exercice d’un pouvoir explicite et constitutionnel. Un « phare » qui fixe les règles explicites régissant les relations entre les hommes et les processus qui animent l’organisation. Et, disons-le, ça marche ! Des centaines d’entreprises dans le monde ont franchi le pas avec succès, chacune adaptant l’holacratie à sa propre réalité.

Car, contrairement au modèle hiérarchique classique qui régnait sans partage jusque-là, l’holacratie n’est pas une nouveau dogme qui contraint et enferme. Évolutive, l’holacratie l’est et le revendique. De sa version « 1.0 » du début de la décennie à celle d’aujourd’hui, une profonde mue a opéré. Alors qu’en 2014, elle semblait appeler à une organisation horizontale, débarrassée du patron et de ses managers, en 2019, les conclusions tirées de la réalité sont autres : le management est non seulement utile mais nécessaire. Aucun reniement mais une prise de conscience tirée de l’expérimentation et de l’observation sur dix années et plus de soixante quinze entreprises.

Prise de conscience managériale

Empirique, née de l’observation, l’holacratie, ou du moins sa compréhension, est passée par une phase d’apprentissage. Ainsi, parfois, a-t-elle été perçue par certains comme un outil « miracle », parfait pour rompre avec le modèle hiérarchique et ses travers – guerres de pouvoirs, règne absolu du patron et de quelques managers, etc. Pour ceux-là, l’holacratie signifiait l’émergence d’une organisation sans chef, une organisation sans manager, basée sur une Constitution et des employés maîtres du jeu.

Avouons-le, avec nos repères conditionnés par le modèle pyramidal, difficile de ne pas céder aux sirènes d’une organisation qui semblait en être l’antithèse. Mais, voire l’holacratie de cette manière serait une erreur, le résultat d’une compréhension parcellaire. En réalité, cette erreur, la plupart d’entre nous avons pu la commettre ; croyant bien faire, ne faisant que projeter tant nos mauvaises expériences et les visions biaisées qui en découlent, que nos idéaux en matière d’exercice du pouvoir.

Cinq ans après, cette vision n’a plus de sens. Elle ne colle pas à la réalité du terrain des entreprises qui pratiquent l’holacratie depuis quatre, cinq ans ou plus. Et ce n’est pas l’holacratie qui a changé. Véritable technologie, boîte à outils au service des organisations, c’est notre compréhension qui a fortement progressé. Si, comme chez Zappos,  l’objectif à terme reste inchangé – faire émerger une organisation agile et alignée sur sa raison d’être, animée par des processus transparents et des personnes autonomes et responsables – le management y occupe désormais une place de choix. Pas un management tout-puissant qui exerce son pouvoir grâce à un ascendant hiérarchique ou un leadership charismatique que tous suivraient ; mais un management au service de l’organisation, explicite et distribué sur plusieurs rôles et processus.

Mais avant de parvenir à ce stade de maturité, Zappos a dû faire face à de vraies difficultés et trouver des solutions. Si les leaders de cercles (il y en a plus de 500 chez Zappos) se sont emparés de l’outil et ont gagné individuellement en puissance, ils sont en revanche partis d’un postulat qui s’est avéré erroné: celui que chaque collaborateur peut s’emparer tout aussi aisément de l’outil. Ils ont donc délaissé leurs collaborateurs. Deux problèmes en ont découlé: les collaborateurs ne maîtrisaient pas l’outil et ils éprouvaient de réelles difficultés à fonctionner en mode « pair à pair » avec leur ancien manager.

De l’excellence managériale au self-management

Mais, dans ce cas, me direz-vous, après dix années de pratique, l’holacratie concrètement c’est quoi ? Et bien c’est un ensemble cohérent d’outils de management et de self-management qui aide à la responsabilisation de celui qui fait et à la coopération de tous autour d’une constitution, le tout au service de la raison d’être de l’entreprise.

Contrairement à ce qui pouvait être affirmé il y a quelques années, l’holacratie permet de réinventer son organisation en faisant émerger une nouvelle forme de management, explicite et distribuée sur des rôles et des processus. Au service de l’entreprise et de sa raison d’être, les fonctions managériales sont non seulement utiles mais nécessaires. La pérennité et le développement de l’organisation reposent sur sa capacité à s’adapter, à changer, et donc à prioriser et à décider. Une partie de l’équipe de Winpharma avec les intervenants de l’institut iGi.

Avec l’holacratie, il ne s’agit pas non plus de passer du management « absolu » aux pouvoirs partagés entre tous. Il est plutôt question d’autorités distribuées de façon explicite. Le manager est celui qui structure, priorise et affecte les rôles. Parallèlement, comme chez Winpharma qui pratique l’holacratie depuis 4 ans, le collaborateur devient autonome et responsable pour les rôles dont il a la charge, qu’il manage. Le manager est là pour l’accompagner. L’organisation se construit et progresse, de l’excellence managériale vers le self-management.

Le manager ne « donne plus du travail ». Il définit des rôles et les affecte à des personnes. Celles-ci ne « font plus leur travail » mais gèrent leurs rôles (self management). Une situation qui peut amener certaines entreprises à modifier les contrats de travail voire à préciser le règlement intérieur. Avec l’holacratie, le management change donc de forme. Bâti sur des autorités explicites et distribuées, cohérentes avec les compétences et les appétences de chacun, il aide à faire émerger une organisation apte à décider et à évoluer pour exprimer davantage sa raison d’être dans le monde. Si le manager – « leader de cercle » en holacratie – reste un rôle managérial clé, d’autres fonctions managériales sont incarnées et distribuées sur l’ensemble des autres rôles (self-management) et aussi sur des rôles spécifiques au sein de chaque processus : celui qui anime les réunions, celui qui représente son cercle à l’échelon supérieur, celui qui arbitre en cas de conflit d’interprétation sur qui fait quoi, etc. Bien loin de la vision proposée à ses débuts d’une entreprise sans manager, l’holacratie implique néanmoins une disruption majeure. Celle d’un management réinventée au service d’une organisation réinventée. En ce sens, « l’outil » holacratie est bel et bien l’école du management dont nos organisations ont tant besoin. Elle est indéniablement une clé pour faire émerger cette entreprise du self-management, d’un leadership démultiplié ; cette organisation évolutive, transparente et efficiente que nous appelons tous de nos vœux.

Auteur

Bernard Marie CHIQUET

Il a été plusieurs fois entrepreneur et dirigeant de grandes entreprises : Executive Director chez Capgemini, Senior Partner chez Ernst & Young, Président-Fondateur de Eurexpert. Dans un deuxième volet de sa carrière, il a acquis une compétence d’executive coach (HEC), de médiateur (CAP’M) et coach en Holacracy® depuis 2011 et Master Coach depuis Janvier 2013, le plus haut niveau de certification.

Durant toutes ces années en tant que dirigeant, il a constaté que les organisations étaient sources de beaucoup de gâchis d’énergie et humain. “Comment avoir une structure organisationnelle simple, explicite, sans jeux politiques et de domination, qui s’adapte aussi vite que le changement lui-même et permet à l’être humain de libérer son potentiel ?” C’est pour répondre à cette question et trouver des alternatives au modèle hiérarchique pyramidal qu’il a fondé l’institut iGi en 2007 (aujourd’hui renommé Nova Consul), First Holacracy® Premier Provider depuis 2010.

Aujourd’hui formateur, consultant en organisation, coach, conférencier, professeur à l’IAE Lyon School of Management (Université Jean Moulin Lyon III) et intervenant à HEC Executive Education, centré sur l’évolution des modes de gouvernance et le leadership, Bernard Marie CHIQUET a crée le Management Constitutionnel®, aboutissement de ses recherches, pour apporter des solutions concrètes, sortir du statu quo et libérer les organisations.

 

 

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